Le numérique a changé nos vies. Il a transformé nos façons de parler, de travailler, de rêver. Et au Bénin, il révolutionne aussi la manière de créer. Dans les ateliers d’artistes, sur les réseaux sociaux, au cœur même des smartphones, une nouvelle scène culturelle prend forme connectée, interactive, résolument moderne. L’art béninois entre dans une ère digitale, où tradition et technologie ne s’opposent plus, mais s’enrichissent l’une l’autre.
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Un pinceau connecté, une créativité libérée
Dans son atelier de Cotonou, Yacoubou Akotchayé ne travaille plus seulement avec des pinceaux. Aujourd’hui, c’est son écran graphique qui devient sa toile, ses logiciels, ses nouveaux outils d’expression.
« Le numérique m’a libéré », dit-il simplement. « Je peux créer sans limite, tout recommencer si je veux, et surtout partager mon travail avec le monde entier, sans passer par une galerie. »
Comme lui, de nombreux artistes béninois explorent de nouveaux territoires créatifs : animation, vidéo, installations interactives, réalité augmentée, NFT… L’univers digital devient un terrain de jeu et d’expérimentation. Les symboles vodoun prennent vie en 3D, les masques anciens se métamorphosent grâce à la projection et au son. L’art béninois, longtemps ancré dans des supports physiques, s’ouvre désormais à l’infini des écrans.
Une scène artistique qui se digitalise
À Cotonou et Abomey-Calavi, la créativité numérique a trouvé ses points d’ancrage. La Case Numérique de l’Institut Français du Bénin, inaugurée en 2025, est devenue un laboratoire de talents, où jeunes artistes s’initient au design graphique, à la photo, à la vidéo, ou encore à la réalité virtuelle.
Des collectifs comme ObaaLab, Wakpon ou ArtTech Bénin accompagnent cette révolution silencieuse à coups de hackathons, d’expositions hybrides ou de résidences en ligne. L’art numérique n’est plus une niche : il fait partie intégrante du paysage culturel béninois. Et il attire un nouveau public, jeune, curieux, ultra-connecté. Sur Instagram ou TikTok, les hashtags remplacent les cartons d’invitation, et les œuvres se vivent autant en ligne qu’en galerie. L’artiste devient aussi community manager de sa propre création.
Numériser pour préserver
Mais le numérique ne sert pas qu’à créer : il permet aussi de sauvegarder. Grâce à la 3D, à la réalité augmentée ou à la photo haute définition, des pans entiers du patrimoine béninois peuvent être archivés et transmis.
L’exposition “Patrimoine 2.0“, organisée à l’Université d’Abomey-Calavi, a permis aux visiteurs de redécouvrir virtuellement des sites historiques et objets cultuels. De leur côté, des projets comme Digital Bénin, soutenus par la Fondation Edo Museum, œuvrent à documenter les objets restitués au pays et à les rendre accessibles à tous.
Le numérique devient ici un outil de mémoire vivante, qui relie les générations et garde le patrimoine bien ancré dans le présent.
Une nouvelle visibilité pour les artistes béninois
L’un des bouleversements majeurs apportés par le numérique, c’est la visibilité mondiale. Aujourd’hui, un artiste béninois peut exposer et vendre son travail à l’étranger, sans quitter son salon.
En 2024, la photographe Reine Tchibozo a ainsi vendu une série de portraits afro-futuristes à des collectionneurs basés à Londres et Dakar, via une plateforme NFT. D’autres, comme les musiciens Blaaz ou Zeynab, ont conquis leur public grâce au streaming et à une communication digitale bien pensée. Et ce n’est qu’un début. Le secteur numérique pourrait générer 1 200 milliards de FCFA dans le PIB national d’ici 2028, selon le Ministère du Numérique. Une partie de cette croissance profitera directement à l’économie créative.
Un art plus accessible, plus inclusif
Le numérique a aussi cette force : il démocratise l’art. Plus besoin d’habiter une grande ville pour voir une exposition. Un simple téléphone suffit pour découvrir, apprendre, créer. Dans les zones rurales, des jeunes participent à des concours artistiques en ligne. Le smartphone devient caméra, studio, galerie. Les barrières tombent.
Les femmes artistes, souvent sous-représentées dans les circuits traditionnels, trouvent dans le digital un espace d’expression plus libre. Le programme « Artistes Connectées », porté par l’ADAC, forme chaque année des dizaines de créatrices aux outils numériques pour booster leur visibilité et leur carrière.
Une révolution qui pose aussi des questions
Mais cette révolution numérique ne va pas sans obstacles. L’accès au matériel, à Internet ou aux formations reste encore inégal. Et derrière l’enthousiasme, des questions demeurent : comment protéger une œuvre diffusée en ligne ? Le virtuel peut-il appauvrir l’authenticité de l’art ? Où tracer la frontière entre copie et création ?
Heureusement, les lignes bougent. L’ADAC, l’Agence du Numérique, ou encore le Ministère de la Culture travaillent à créer des cadres, à former, à soutenir.
L’avenir se construit, pixel par pixel
Le numérique ne vient pas remplacer la culture béninoise. Il l’augmente, la fait voyager, la fait rêver autrement. Il devient un pont entre le passé et demain, entre la tradition et l’innovation.
Avec son patrimoine riche, sa jeunesse inventive et ses artistes audacieux, le Bénin a tout pour devenir un hub culturel digital en Afrique de l’Ouest.
Mais pour y parvenir, il faudra former, accompagner, et surtout croire au potentiel infini de la création béninoise. Et dans ce domaine, une chose est sûre : les artistes béninois ne sont pas près de poser leur dernier pixel.