Rythmes sacrés, rythmes sociaux : voyage au cœur des traditions musicales béninoises
Au Bénin, chaque battement de tambour raconte une histoire. Chaque rythme transmet une mémoire. Chaque chant conserve un savoir ancien. Des cérémonies vodoun du sud aux rites funéraires des royaumes Bariba, la musique ne se contente pas d’accompagner les événements. Elle les incarne, les structure, en est l’âme.
Ce dossier vous emmène au cœur des rythmes cérémoniels du Bénin : chants de deuil, musiques traditionnelles de réjouissance, percussions sacrées… Chaque région et chaque rituel possède ses propres sonorités, instruments et codes. Ainsi, c’est une exploration vivante des traditions musicales qui nourrissent encore aujourd’hui l’âme collective du pays.
Musique et spiritualité : les rythmes dans les cérémonies vodoun
Chez nous, la musique relie le monde visible à l’invisible. Dans les pratiques vodoun, chaque région a ses rythmes sacrés, porteurs d’histoires, de symboles et de puissance spirituelle. Voici quelques-uns parmi les plus marquants.
Agbotchébou & Houèdè – Zou (Abomey, Bohicon)
Dans le centre du Bénin, les rythmes Agbotchébou et Houèdè accompagnent les cérémonies d’invocation, de purification ou d’hommage aux divinités majeures comme Dan ou Sakpata. L’Agbotchébou, lent et profond, structure les moments solennels. Les adeptes entrent alors en transe, guidés par des tambours longs et des chants en langue fon.
À l’inverse, le Houèdè, plus rapide, marque les phases collectives de danse. On célèbre alors la présence des divinités avec des tambours dynamiques et des grelots attachés aux chevilles. En somme, ces rythmes traduisent la dimension vivante du sacré dans la région du Zou.
Agbadja Vodoun – Sud du Bénin (Mono, Couffo)
L’Agbadja vodoun est une version rituelle de l’Agbadja, danse traditionnelle des peuples Ewe du sud-ouest béninois. Traditionnellement festive, sa version sacrée est réservée aux hommages rendus aux ancêtres et aux divinités protectrices.
Les danses y sont codifiées. Les rythmes commencent souvent par des sons de cloches appelées Gankogui. Ces derniers sont ensuite accompagnés de tambours Atchémé et Kpanounga.
Guèlèdè – Région Yoruba-Nago (Ouémé, Plateau)
Classé patrimoine immatériel mondial par l’UNESCO, le Guèlèdè est un rituel pratiqué par les communautés Yoruba-Nago. Il rend hommage aux femmes, en particulier à la mère primordiale Iyà Nlà, et célèbre leur rôle dans la société.
Les festivités incluent des danses masquées, des chants en yoruba, et des percussions comme l’Iya Ilu (tambour mère), l’Ako Ilu (tambour mâle) et les Omélé (tambours d’accompagnement). Les masques en bois, peints et sculptés, représentent des figures féminines. Ils incarnent ainsi leur pouvoir spirituel.
De plus, la chanteuse Zeynab Habib a valorisé le Guèlèdè dans ses œuvres musicales. Elle a notamment modernisé la danse Bolodjo tout en respectant sa tradition.
Rôle des musiciens rituels : plus que des artistes, des initiés
Dans les cérémonies vodoun, le maître tambour n’est pas un simple musicien. Il maîtrise des rythmes sacrés capables d’entraîner les adeptes en transe, d’invoquer les esprits ou de canaliser l’énergie du groupe. Ces formules rythmiques se transmettent oralement entre initiés et sous serment.
Les rythmes funéraires : dire adieu en musique
Au Bénin, les funérailles sont plus que des adieux. Ce sont des rites de passage vers l’au-delà. La musique y tient un rôle central : elle accompagne l’âme, célèbre la vie, apaise les vivants et structure le rite.
Avi Zinli et Zinli Gbété – Centre et Sud (Zou, Collines, Mono)
Dans les anciens royaumes, les rythmes Zinli sont étroitement liés aux cérémonies funéraires. L’Avi Zinli, ou rythme de la jarre, a été créé au XIXe siècle par le prince Gbeyin, futur roi Glèlè. C’était lors des funérailles d’un proche du roi Guézo. Ce rythme, à l’origine royal, a été popularisé par des artistes comme le roi Alèkpéhanhou. Il l’a ensuite utilisé dans des contextes festifs.
Le Zinli Gbété est une variante plus intime, jouée dans la région du Mono lors des funérailles de personnes âgées ou respectées. Il utilise cinq tambours et des chants porteurs de sagesse.
Wourou – Nord (Borgou, Alibori, Bariba)
Chez les Bariba, les funérailles durent longtemps. Elles se déroulent selon la hiérarchie sociale. Le Wourou associe chants et instruments comme les calebasses remplies de graviers, les peaux d’animaux ou les chants masculins. Les griots spécialisés, en tant que musiciens, retracent les lignées et les exploits du défunt. La musique dure plusieurs jours. Des cavalcades et des offrandes sonores viennent ponctuer le rituel.
Une jeune fille vierge, porteuse de talismans, accompagne parfois la procession. Cependant, elle ne danse jamais.
Kaka et chants de lamentation – Donga (N’tcha, Djougou)
Le Kaka est un rythme à cordes pincées. Il se joue avec un bambou creux frappé par une baguette en bois fin. Ce son distinctif s’accompagne souvent de castagnettes. Utilisé dans plusieurs rites, notamment les funérailles, il exprime la douleur et rend hommage aux disparus. L’artiste Sagbohan Danialou a contribué à sa popularisation.
Les chants de lamentation sont également essentiels. Souvent chantés par des femmes, ils traduisent la douleur, le respect et le lien entre les vivants et les morts. Bien qu’ils varient selon les régions, ils partagent une même fonction : accompagner l’âme et aider les vivants dans leur deuil.
Célébrations et alliances : musiques de dot et de réjouissance
Les cérémonies de dot, les mariages, les naissances et autres réjouissances représentent des moments de fête. Ces événements sont marqués par des musiques joyeuses. Celles-ci célèbrent l’union, la fécondité et les liens familiaux.
Akonhoun – Sud (Atlantique, Zou)
L’Akonhoun est un rythme emblématique des cérémonies de dot dans le sud du Bénin. Le mot vient du fon : “Akon” (torse) et “Houn” (rythme). Les danseurs, principalement des hommes, frappent leur torse avec leurs paumes. Ils produisent ainsi des sons particuliers.
Ce rythme est aussi lié aux danses royales du royaume du Danhomey. À cette époque, il servait à louer le roi.
Tèkè – Nord (Atacora, Donga, Peulh)
Le Tèkè est une danse traditionnelle du peuple Baatonu, répandue dans le Borgou et l’Alibori. Surnommée “danse du bâton”, elle se caractérise par des mouvements énergiques et coordonnés. Les danseurs, hommes et femmes, utilisent des bâtons en rythme avec la musique.
Le Tèkè est exécuté lors des intronisations, des fêtes de la Gaani ou lors du retour des caravaniers. Il est accompagné de percussions, de flûtes et de chants festifs.
La musique au Bénin n’est pas qu’un art. C’est une langue sacrée, une mémoire vivante, un outil de cohésion. Funérailles, mariages, rites vodoun… chaque son, chaque instrument, chaque voix raconte une histoire, renforce les liens et perpétue les traditions.
En écoutant ces rythmes, nous redécouvrons une richesse culturelle inestimable. Cet héritage mérite d’être préservé et célébré.